AVENTURES À LAUSANNE
Chapitre 1
Mardi 2 juillet, fin de matinée
Lausanne, Suisse
« - On part de là ! Vite ! Il risque de m’avoir suivie ici ! »
Du thé gicla, tant cet ouragan heurta la table. Violette leva ses yeux verts. En sandales marron, en robe blanche à bretelles parsemée de fleurs, le visage mangé par les lunettes de soleil, Marité fit valser ses cheveux roux au carré alors qu’elle répétait :
« - Allez ! Viens ! Viens vite ! Partons !
- Assieds-toi, calme-toi, explique-toi ! »
La douceur de Violette fut convaincante. La chaise grinça. Marité serra son sac rouge et noir contre sa poitrine. Elle jeta un regard. Son amie l’imita. Rien. Personne d’inquiétant.
« - Tu m’expliques ?
- ... Je voulais aller à notre hôtel afin de déposer mon sac et reprendre une batterie pour mon appareil photo. J’ai éprouvé cette impression... bizarre que l’on fixait mes jambes, mon dos. Je me suis retournée. Aucun des passants ne semblait louche. Dès que j’ai de nouveau marché, la même sensation a surgi ! Devant l’hôtel, j’ai changé d’avis. J’ai utilisé la bonne tactique des vitres des magasins !... J’ai fait semblant d’attendre le bus à la place Saint-François. Je suis entrée dans un bazar. Quand j’en suis ressortie, j’ai aperçu un type. J’ai compris qu’il me suivait depuis le début !... En jean et en polo vert !... Il ne m’a pas abordée ! »
Styliste, Marité qui formait un couple heureux avec Valentin s’était apaisée. Elle reprit son histoire :
« - J’ai cru avoir gagné près d’un supermarché, mais je l’ai retrouvé à la gare. J’ai eu la super idée de prendre le métro... Il a dû me perdre ! Ma tactique fut la meilleure ! »
Ce fin sourire soulagea Violette. Tout se terminait bien !… Une pochette noire en bandoulière, un jean, un polo vert !!!… Adossé au kiosque de journaux et de boissons de l’autre côté de la chaussée, en face de l’entrée de la station de métro Ouchy-Olympique, le polo vert observait les deux amies dieppoises !... Le dépit marqua les traits de la fleuriste suffisamment pour inquiéter Marité.
« - Que se passe-t-il ? Ne me dis pas que…
- Derrière toi. Sur la place. Il vient dans notre direction et...
- Bonjour Mesdames ! » les salua l’inconnu.
Il se tourna vers Marité qui bloqua son sac contre sa poitrine. Le visage rasé de près, les yeux noirs, les cheveux bruns courts, le caucasien de trente ans fit part posément, sans accent :
« - Excusez-moi, nous nous sommes vus au magasin de…
- Non, ce n’était pas moi du tout !
- Pourtant, vous avez laissé tomber un papier ! »
L’homme tendait un petit papier jaune. Violette réfléchit vite et, à son regard, sut que son amie partageait son idée. Elle agrippa le bras d’un serveur. Par expérience, celui-ci comprit :
« - Mesdames ont choisi leurs nouvelles boissons ?... Quant aux glaces, je vous invite à découvrir nos spécialités : la framboise au chocolat ou celle au caramel et à la crème d’amandes et… »
Le polo vert ne savait plus quoi penser, quoi faire. Le serveur s’imposait, le collait. Dubitatif, l’inconnu détailla les Françaises. Il lança un regard en direction d’Éole. Sa mine se rembrunit et il s’esquiva. Traversant la rue à la hâte, il se mêla à des touristes près du parc. Violette proposa à Marité de laisser ses achats de la matinée dans sa fourgonnette, garée à proximité. De retour au café, elles échangèrent leurs pensées : l’attitude du polo vert ne correspondait plus à celle d’un dragueur. Un examen des trottoirs, de la place de la Navigation répondit à leur interrogation : non, pas de silhouette dérangeante !... En parlant de leurs vacances, elles se détendirent. Des promeneurs, des travailleurs se dépêchaient afin de ne pas rater l’un des bateaux-bus.
Presque quatorze heures. Les Normandes décidèrent de revenir à l’hôtel pour y déposer leurs sacs. Après de nouvelles photographies du château d’Ouchy, d’Éole, elles apprécièrent la climatisation du véhicule. Violette conduisait en sifflant. Les lettres bleutées du nom de l’établissement furent visibles. L’immeuble de cinq étages s’élevait près de la gare de Lausanne. Sur le trottoir, les gens se pressaient. L’entrée de l’allée du parking souterrain se présenta. Au sous-sol, une vingtaine de voitures était garée. Les clients utilisaient la carte des transports en commun lausannois... offerte par leur hôtel ! Marité et Violette pénètrèrent dans l’ascenseur. La première s’enquit :
« - Après un brin de toilette, où allons-nous ? À la cathédrale ?
- Demain matin pour la cathédrale ! Nous aurons plus de temps pour admirer le panorama, la vue sur le Léman. J’aimerais revenir à la place de la Palud. Nous pourrions…
- Abruti ! À l’aide ! Mais laissez-moi ! Oh ! »
Les portes s’étaient ouvertes au troisième étage, comme prévu... Ce qui ne l’était pas demeurait cette bagarre ! L’enjeu était un sac noir et rouge tiraillé entre sa propriétaire, le voleur. L’individu esquiva avec peine un coup de pied.
« - Laissez-moi ! À l’aaaaiiiiiidddddeeeeeeeee… Ah ! »
Le couloir était désert !... Un coup à la tête ne vint pas à bout de la détermination de la quadragénaire qui hurla. L’homme poussa un cri en s’effondrant. Marité saisit son téléphone. Trois furies, la direction de l’établissement, la police ensuite : l’inconnu d’une vingtaine d’années en chemise blanche, en pantalon foncé se releva. Il gagna l’ascenseur. Les portes de la cabine se fermèrent devant Violette. Dépitée, elle para au plus urgent.
La cliente s’était adossée au mur jaune. Ses mains tremblèrent. La gauche rattrapa le sac glissant de l’épaule. Les dix doigts frottèrent le visage pâle, repoussèrent les cheveux roux de sa frange. Deux soupirs plus tard, la femme adressa un petit sourire à ses sauveteurs.
« - Mille mercis à vous !... Heureusement… que votre chambre est à cet étage et, surtout, que vous avez osé intervenir ! C’est la première fois que je suis... agressée…
- Dans un hôtel ! Et en plein jour ! » finit Violette.
- Il vous a blessée ? »
Marité intervenait, scrutant la robe beige qui laissait voir ces bras, ces jambes blancs.
« - Non, à part cette légère griffure sur mon poignet... Il est venu derrière moi et a voulu m’arracher mon sac ! Par chance, je le tenais déjà bien ! Cela dit, en effet, un vol à l’arraché dans un hôtel, jamais je ne l’aurais cru !
- Je sais ! Mais vous allez dire que je suis folle ! »
Les regards verts et bleus fixèrent Marité. Elle avait accentué son propos d’un geste de la main.
« - Ne restons pas dans ce corridor ! Je loge juste là… »
De sa pochette, l’inconnue sortit une carte magnétique. Après un échec, elle ouvrit la porte de sa chambre. Excepté qu’elle donnait sur le jardin, la pièce était identique à celle des amies. Elles notèrent, sur le lit, la présence de la valise non ouverte et d’un sac qui l’était. Tout semblait en ordre.
« - Il n’est pas venu ici... » leur confirma leur hôtesse. « Oh ! Je vous en prie, asseyez-vous !... Je m’appelle Terry Ropraz. Je suis en vacances à Lausanne. Je vis à Lille en France.
- Violette Leclerc de Dieppe en Seine-Maritime. Je suis Marité Bourgeois, de la même ville ! »
Assise au bord de la chaise, les traits figés, la styliste énonça :
« - Ils vous ont prise pour moi ou ils m’ont prise pour vous ! »
Un silence total, des regards ahuris ! Marité aurait pu sourire. Elle n’en eut pas le cœur. La situation devenait inextricable. Après les événements de la matinée, elle avait pensé que les vacances se poursuivraient de façon idyllique. Erreur complète !
« - Oh non !... Vous voulez dire qu’ils s’en sont pris aussi à vous ? Pourquoi ? Quand ?
- Pourquoi ? Je n’en sais rien !... Quand ? Ce matin, dans la rue. Et, à midi, lorsque nous étions à une brasserie à Ouchy !
- Ce matin, tu étais quasi revenue à l’hôtel ! » releva Violette.
La bouteille d’eau à la main, elle garda les lèvres entrouvertes... Ses yeux se posèrent sur son amie, sur Terry, proche du lit.
« - Toutes deux, vous portez une robe claire. Vous avez les cheveux roux au carré et un sac fourre-tout noir, rouge !… Si ce n’est pas indiscret, depuis quand êtes-vous dans cet hôtel ?
- Rien n’est indiscret puisque je veux résoudre ce mystère ! » répondit la Lilloise. « ... Mon train est arrivé à Lausanne hier après-midi ! Je me suis rendue à pied jusqu’à l’hôtel. Hormis ma famille, des amis intimes, personne ne sait que je suis en Suisse... Marité, que s’est-il passé pour vous ?
- ... J’étais allée dans des magasins. J’ai franchi le seuil de notre hôtel en vue de prendre une batterie pour mon appareil photo. J’ai modifié mon plan. Je suis ressortie... Je me suis sentie suivie par un type. Il était là à Ouchy et il nous a dérangées à la brasserie… Oh ! Qu’a-t-il dit ? » tenta de se rappeler Marité.
- Il a parlé d’un commerce. Il a affirmé t’avoir vue et a montré un bout de papier jaune que tu aurais perdu.
- Ah ! Sauf que cet imbécile ignore que je n’utilise jamais de pa-pier adhésif jaune !
- Que voulait-il réellement ?
- C’est la question !... Nous n’en savons rien ! Nous ne comprenons rien ! » répliqua Violette en haussant les épaules, les mains. « Il est parti brusquement ! D’accord, le serveur a reconnu un enquiquineur, mais…
- Il n’avait rien d’un dragueur. En plus, il m’aurait abordée dans la rue bien auparavant !
- Mon sac est un sac fourre-tout normal. Il ne contient ni des vêtements de luxe ni des bijoux. » affirma Terry.
Elle se dirigea à pas feutrés vers la porte, souleva l’œilleton. Revenue près de la commode, elle murmura, pourtant inquiète :
« - Il n’y a personne. Du moins, de visible pour moi !
- Dans le jardin, une femme lit et son fils joue au ballon. »
Marité s’était collée au mur pour espionner. Les trois femmes se regardèrent. Violette exprima l’idée commune :
« - Quittons définitivement cet hôtel !... J’ai un véhicule. Allons sur un parking et réfléchissons à la situation !... Nous nous connaissons à peine, voire…
- Je comprends ! » l’interrompit Terry. Avec un mince sourire, elle enchaîna : « Vous savez, je ne me sentirai plus tranquille ici... Et toute cette histoire est trop curieuse ! Je ne crois pas aux coïncidences ! Soit ce type en veut à Marité, soit à moi… pour une raison que nous devons découvrir au plus vite. Rentrer chez nous en France ou passer nos vacances ailleurs nous interdirait de revenir à Lausanne pendant un temps ! Non, je refuse que des tiers m’ordonnent quoi faire ! »
Son élan fut partagé ! La Lilloise réunit ses affaires. Elle accompagna Violette et Marité dans leur propre chambre. En raison de leur date d’arrivée, les préparatifs furent plus longs.
« - ... Au fait, pour le paiement des nuits ?... Il nous en restait plusieurs ! » grogna la styliste.
Sa question prit ses compagnes au dépourvu.
« - Revenons demain matin ! Nous téléphonerons à la réception si nous devions annuler notre séjour ici. » suggéra Terry. Sa grimace s’accentua. « Non, en fait, je l’ai dit : je n’ai pas du tout envie de revenir. Pas tant que j’ignore ce que ce type voulait !
- Nous sommes prêtes ? Alors, nous fonçons ! » décida Violette. « Prenons l’ascenseur jusqu’au sous-sol !... Si un espion nous attend à la réception ou devant l’hôtel, il en sera pour ses frais ! »
Il était presque quinze heures trente. Les sacs empilés, les valises dans la cabine de l’ascenseur, Terry appuya sur le bouton. Marité eut l’impression que les battements de son cœur s’entendaient jusqu’à Zurich ou Genève. Qui était ce maudit polo vert ? Les portes s’ouvrirent. Éclairé, le parking dévoila à présent une dizaine de voitures. Violette bifurqua à droite : trois emplacements vides, un monospace noir, deux places occupées, son véhicule de couleur verte. Une banquette juxtaposée à la paroi per-mettait de s’allonger. En face, trois petits meubles de rangement, une glacière se révélaient pratiques. Les lunettes arrière teintées renforçaient une intimité. Violette proposa :
« - Vous vous installerez là avec les bagages pour le moment !... Vous êtes définitivement d’accord pour le changement d’hôtel ?
- Il me restait deux nuits payées ! Ensuite, je partais à Genève pour revenir à Lausanne... » leur apprit Terry. « Je peux annuler sans frais mon séjour à Genève et le deuxième à Lausanne.
- Nous perdrons aussi de l’argent... Cependant, nous gagnerons une tranquillité d’esprit ! » déclara Marité, en calant son sac contre une valise. « Avant d’annuler, assurons-nous d’avoir une chambre dans un autre établissement !... Nous vérifierons les disponibilités pendant que nous roulerons… Partons vite d’ici ! »
Violette ouvrit la boîte à gants, s’empara d’un bonbon à la menthe. En le mâchouillant pour... s’apaiser, elle boucla sa ceinture. La fleuriste mit la clé de contact. Calme, tout était calme, se répéta-t-elle. La porte du parking souterrain s’ouvrit. Aucun espion avec son parapluie, son polo vert ! Aucun véhicule louche !... Bien sûr ! Les espions roulaient dans une voiture banale ! Violette jeta un œil sur le rétroviseur. Non, aucun polo vert ! En dépassant le carrefour, elle sourit. Voilà, il y avait assez de distance !... Sur le fronton de la gare et sous les célèbres anneaux colorés, la mention en blanc Lausanne, Capitale Olympique s’arborait fièrement. Elles n’allaient pas quitter une très belle ville si rapidement !
« - Si nous élucidions notre affaire ? » proposa Terry.
Elle s’était assise juste derrière le siège de la conductrice. Installée sur un pouf, Marité acquiesça :
« - Nous devinons qu’ils nous ont confondues. Ils m’ont vue près de l’hôtel justement !
- En soi, ils n’avaient aucune raison de s’en prendre à toi ni à Terry… Terry, vous ne travaillez pas, par hasard, pour les services secrets, pour un organisme ?... Vous n’êtes pas une avocate avec un dossier brûlant ? » lança Violette, en feignant une boutade.
- Je suis vétérinaire ! Je n’ai aucun problème avec mes clients, avec mes fournisseurs, etc. Je suis restée en bons termes avec mon ex-mari. Mon compagnon actuel est adorable. Je le connais depuis le lycée !
- Ma vie est aussi paisible ! » grimaça Marité, exaspérée de voir seulement la partie supérieure des façades. « Non, la réponse se situe dans le présent. Il faut répertorier ce que nous avons fait.
- Où nous sommes allées ! » enchaîna Terry avec un nouvel enthousiasme. « Il est clair que nous ne nous sommes pas rencontrées auparavant à Lausanne. Je me souviendrais de vous !... Je suis arrivée par le TGV Lyria en provenance de Paris.
- Raté ! J’ai conduit ! Le train n’est donc pas le point commun. »
Violette laissa passer cette mère de famille au stop. Elle reprit :
« - Êtes-vous allée dans un restaurant hier ? Nous avons dîné à la place de la Palud avant-hier.
- ... Je ne l’ai pas encore visitée !… Et les magasins ? N’oubliez pas que ce type vous a parlé d’un magasin !
- Oh ! C’est vrai ! Toutefois, nous sommes présentes depuis plusieurs jours... Cela va être malaisé de lister toutes les enseignes ! Dommage ! » se résigna Marité.
Se maintenant à une barre de fer, Terry réfléchit :
« - J’ai fait des achats au magasin Coop City, avenue du Théâtre.
- Pas nous ! » repartit la styliste. « Le nôtre de la même chaîne se situait près de la place de la Riponne. Je me souviens de cette avenue dont tu parles ! Elle est plus bas, près de... la place Saint-François. Es-tu allée dans des commerces traditionnels ?
- J’ai acquis une écharpe dans une petite boutique où il y a un peu de tout. Hier, j’ai pris des souvenirs pour ma famille et moi-même. Ce matin, j’en ai choisi d’autres... J’ai acheté un sandwich et un café à la place Saint-François. Par la suite, je me suis installée sur un banc. Je suis rentrée à l’hôtel pour y déposer mes affaires. Je comptais visiter la Cité cette après-midi.
- Je quitte sous peu Lausanne : nous reviendrons ! » dit Violette.
Elle ralentit à la vue d’un feu tricolore.
« - Je me dirige vers Morges ou Genève. Une nationale nous permettra de mieux débusquer des espions ! A priori, nous sommes tranquilles. Toutefois, je veux en être sûre !... Marité, nous avons visité un magasin de souvenirs avant-hier et ce matin…
- J’y suis retournée !... Nom d’une pipe ! »
Marité fixa Terry qui comprit la question muette.
« - Il est à l’angle de la rue Centrale et d’une autre. Cette dernière montait, était pavée, tout comme celle d’en face qui, elle, descendait. Elle prend naissance, pas loin de la place de la Palud si mes souvenirs sont bons ! J’avais consulté un plan.
- La façade comporte de la peinture bleue... Les souvenirs sont nombreux, originaux, estampillés souvent au nom de Switzerland ! Le comptoir est placé devant nous. Le magasin s’étend à gauche, à droite et des cartes postales sont au fond !
- Ta description est parfaite ! » s’écria Terry avec satisfaction. Le tutoiement employé depuis peu appuyait leur complicité. « Nous avons compris le point de départ de cette histoire !
- Excepté le caissier, as-tu parlé à un client ?... As-tu noté un fait mystérieux ? Oh ! Moi, j’en vois un ! Je ne m’étais pas trompée finalement ! » ragea Violette qui tapa sur son volant. « ... Nous reprendrons notre énigme tantôt. En voici une autre ! Nous sommes filées !... J’avais vu un véhicule jaune canari après notre passage devant la gare. Il est réapparu depuis quelques minutes... Zut ! Je ne prêtais plus trop attention ! »
Elles avaient quitté Lausanne... La Normande s’engagea sur la bretelle de l’autoroute. Le rétroviseur lui confirma bien sa crainte : le canari était là. Des voitures le suivaient. Et ce monospace gris ? Cette camionnette ?... Terry et Marité s’étaient ap-prochées à genoux des portes de l’arrière. Elles n’osèrent toutefois pas se redresser.
« - Le canari m’a dépassée. Quant aux autres, je n’ai plus de certitude. Nous sommes sur l’autoroute en direction de Genève. La circulation est logique !
- Tu comptes visiter le Jet d’eau ? » l’apostropha presque Marité.
- Non ! Nous allons trouver une sortie. Il y a une bretelle à droite. Ces automobiles s’immisceront entre les espions et nous-mêmes. Si nous reprenions notre discussion ? »
Revenue près de la cabine, Terry se plaça derrière Violette.
« - Dans le magasin, j’ai discuté avec une caissière... Auparavant, j’ai échangé des propos avec un client. Nous venions de découvrir des poupées en costume folklorique. Il en cherchait une pour sa fille. Un homme d’affaires tranquille : il portait une mallette. Nous nous sommes quittés en nous souhaitant une bonne journée... Il a payé ses achats. Moi, je me suis offert des souvenirs comme tout touriste séjournant à Lausanne ! J’ai attendu peut-être deux, trois minutes à la caisse. Je suis sortie. »
Terry leva les yeux, haussa les épaules. Elle regarda Marité puis le dos de leur conductrice.
« - Je n’ai pas prêté attention aux gens sur le trottoir... À quel moment es-tu venue à la boutique ?
- Violette et moi, vers dix heures.
- Moi, aux alentours de midi.
- Attends ! Je suis retournée à ce commerce acheter des cartes postales. Après l’avoir quitté, j’ai eu l’impression d’être espionnée ! Comme je le disais, arrivée à l’hôtel, je n’y suis pas entrée finalement. J’ai rejoint Violette à Ouchy. J’ai eu encore cette sensation d’être épiée. La preuve : le type nous a interpelées au café !... Au fait, sommes-nous toujours suivies ? » questionna Marité.
- Le canari a disparu. Je ne suis pas catégorique pour autant. Il a peut-être des complices. Les voitures sont nombreuses ! »
Violette dépassa un autocar suédois sous ce ciel bleu pur.
« - En résumé, vous êtes allées toutes les deux au même magasin et vous séjourniez au même hôtel.
- J’ai juste parlé à la caissière. » énonça Marité « Bonjour, bonne journée, au revoir !... Personne ne s’est approché de moi.
- Une caissière aux cheveux courts, châtains colorés en blond. Et les mêmes propos !... J’ai parlé du temps chaud, agréable. J’ai ajouté que Lausanne était splendide, disparate ! J’ai dit adorer ses immeubles anciens si chics !
- Exact pour l’employée !... Donc, Terry, tes phrases étaient aussi normales que les miennes !
- Les filles ! Où ? Berne, Besançon, Simplon, Neuchâtel ?... Ou je prendrai la prochaine sortie pour revenir à Lausanne ?
- Lausanne ! »
Elles avaient répondu à l’unisson. La vétérinaire lilloise renchérit :
« - La clé du mystère réside bien à ce magasin à Lausanne. Mais y retourner n’est pas une bonne idée. Nous sommes repérables. »
Violette braqua, rejoignit la file de droite. Elle semblait avoir piégé ses poursuivants. Cette route était moins utilisée.
« - Moi, j’aurais pu y aller. Cependant, si j’y rencontre le polo vert, il me reconnaîtra puisqu’il m’a vue à Ouchy.
- Exact !... » reprit Terry. Elle tortilla une mèche de cheveux. « La meilleure action est de réfléchir au déroulement des faits !
- S’il s’agissait d’objets de contrebande, de contrefaçon plutôt ?
- ... Violette, nous n’avons pas acheté des sacs, des produits de luxe, uniquement des souvenirs... Vois-tu des suspects ?
- Les couleurs, les modèles habituels, Marité !... Le canari a vraiment disparu, enfin depuis plusieurs minutes !
- Arrête-toi sur le parking d’un supermarché ! » proposa Terry.
- Excellente idée !... Pour l’instant, ce sont en majorité des petits immeubles de bureaux. Nous sommes à... Renens sur une nationale... Ah ! Une station-service ! De toute façon, j’ai besoin de reprendre de l’essence… Discrètement, examinez les alentours ! »
Violette se gara. Les lunettes de soleil sur le nez, elle siffla une chanson. Des voitures dont un monospace dépassèrent la station. Une berline bleue ralentit. Le conducteur tourna la tête. Seul indice : il portait un couvre-chef. Les véhicules suivants défilèrent, pressés de se rendre à... Lausanne. Un autre monospace, rouge, s’arrêta sur le parking. Cependant, le propriétaire était trop loin pour être reconnu. L’excellente mémoire de Violette la servit quand, cachée par les pompes, elle nota sur son calepin les couleurs, les marques, les modèles aperçus... Pensive, elle grimpa dans sa fourgonnette. Assise sur le sol, Marité ferma sa gourde.
« - Terry et moi, nous pensons qu’il serait temps de réserver nos chambres. Deux avec une porte communicante ! »
Violette démarra. Tandis qu’elle rejoignait la route, elle pesta :
« - Le monospace rouge a démarré aussi ! Qui est qui dans cette affaire ? Le polo vert s’est dédoublé, triplé avec le canari ? »
Elle dépassa une belle habitation blanche sise à sa gauche. Plus loin, à droite, une zone herbeuse faisait face à de bas immeubles. Les rues perpendiculaires étaient calmes. Des maisons plus imposantes qui abritaient certainement divers appartements étaient colorées. Violette adorait ce patrimoine éclatant. Une voiture quitta l’emplacement le long du trottoir. Non ! Plus d’espion à l’horizon ! Elle entendit Terry s’exprimer au téléphone... La dernière expression lui fit comprendre qu’elles avaient des chambres.
« - Nous sommes à Lausanne ? » intervint Marité.
- Oui ! Mais pas encore dans le centre !... Nous avons longé un parc, des immeubles anciens cossus très sympas, des immeubles plus récents. Vu le plan, le Léman est bien à notre droite... Tiens, ce sont les Alpes là-bas ! Au fait, alors l’hôtel ?
- Impeccable ! » repartit Terry. « Nous avons trouvé un établissement situé place de l’Europe, donc au centre ville, à côté des deux lignes du métro, des commerces, des bus. »
Violette profita d’un feu rouge pour consulter son plan en papier. Elle n’avait plus confiance en le GPS qui l’avait trompée à maintes reprises. Quasiment en ligne droite !... Ah non !
« - Je me demande si nous ne sommes pas encore filées !... La bleue grise. Ce n’est pas vrai ! Ils sont plusieurs !
- Une couleur tellement courante !
- Marité, oui ! Ainsi, je ne sais quoi penser. Il y a la noire ensuite. J’en ai vu une à Renens. Maintenant, nous sommes à Prilly. Pour semer des idiots, je suis passée deux fois à l’orange… Oh ! Il y a un parking avec un magasin Coop ! J’achèterai un peu de nourriture et je saurai si quelqu’un nous suit réellement. »
Son véhicule arrêté, la fleuriste saisit le rideau mauve.
« - Je vais le glisser : si un espion vient, il ne vous verra pas... Ne parlez pas, éteignez vos téléphones ! Je me dépêche ! »
Calme en apparence, bouillonnante en réalité, Violette marcha sur le bitume. Le sac à provisions chargé, une femme ouvrait le coffre de sa voiture noire. Un homme descendit de son ludospace blanc. La société coopérative Coop était le deuxième acteur de la grande distribution en Suisse. Le magasin n’était certes pas l’un des hypermarchés ou supermarchés de la chaîne, mais il servait les desseins de la Française. Des clients marchaient ici et là. Personne n’était entré à la suite de Violette. Quasi dissimulée derrière une tête de gondole, elle s’aperçut que nul ne s’intéressait de près à son véhicule. Et de loin ? Non, à cause des arbres, elle n’avait pas de visibilité en direction de Renens !... Elle ajouta des produits dans son panier, paya sans avoir l’idée d’être surveillée. Le soleil brillait toujours autant. La Fiat noire avait disparu sur le parking... La Normande s’engouffra dans sa fourgonnette. Faisant semblant de chercher quelque chose dans des sacs posés à terre, elle s’enquit :
« - En pleine forme, les filles ?
- Nous, oui ! Et les espions ? » l’interrogea Terry.
- Ils dorment !... Nous emprunterons la rue de Genève. Elle nous mènera à proximité de l’hôtel. En plus, il y a un centre commercial avec un parking. Je vous propose d’y réaliser nos courses réelles. Nous dînerons dans l’une de nos chambres. »
Sur la gauche, les immeubles de cinq à six étages défilaient. La plupart abritaient des commerces au rez-de-chaussée. De l’autre côté, ces bureaux surmontaient des hangars. Ils furent remplacés par des bâtiments pourvus de magasins ou d’appartements. Le Léman n’apparaissait toujours pas. Violette examina le rétroviseur : des voitures bleues, grises, blanches, rouges, noires, voire orangée comme cette estafette. Le canari s’était volatilisé ou les espions utilisaient différents véhicules comme dans les films ? À droite, les immeubles avaient quasiment disparu, chassés par diverses constructions... Le pont Chauderon enjamba la route ; les femmes approchaient donc du centre ville et du quartier du Flon. Selon le guide que Violette avait consulté la veille, il se situait ini-tialement au sein d’une vallée. Après les cultures des vignes, l’industrialisation avait apporté ses inconvénients. En 1832, une épidémie de choléra avait sonné le glas du paysage... La vallée fut comblée, un pont avec sa double rangée d’arches construit... Le terrain se transforma encore avec l’élévation d’une gare, d’un funiculaire en 1877 et la perte de la première rangée d’arches pour le Grand-Pont à cause de remblais... Des hangars, des entrepôts s’ajoutèrent au siècle suivant. Avec le temps, ils laissèrent la place à des bureaux, à des ateliers d’artistes, à des artisans... Les réputations changèrent. Les besoins de rénovation s’imposèrent !... Au XXIe siècle, le quartier du Flon - essentiellement piétonnier - ac-cueillait des restaurants, des commerces, des lofts, des manifestations culturelles multiples, des ateliers d’artistes, des lieux de divertissement, etc.
Le complexe Bel-Air Métropole se présenta avec ses magasins répartis sur plusieurs étages. Le dominant depuis 1931, la tour Bel-Air en pierres beiges avait la particularité de compter quinze étages si le passant marchait sur la place Bel-Air ou... dix-neuf étages s’il se promenait rue de Genève ! Violette longea à sa gauche une enseigne de produits culturels. Elle déboucha sur l’un des cœurs névralgiques de Lausanne : la place de l’Europe !... Le Grand-Pont l’enjambait avec ses arches de pierres grises conservées pour rallier ainsi les flancs des deux collines. Plutôt perpen-diculaire à l’ouvrage majestueux, la passerelle était réservée aux piétons. De grands ascenseurs permettaient de descendre jusqu’à la place, d’accéder de cette manière au quartier du Flon, à la station Lausanne-Flon... Au niveau supérieur, très proches de la tour Bel-Air, des immeubles, anciens, blancs, colorés se découvraient. En face de Violette, au-delà du Grand-Pont, la si belle cathédrale surplombait tout et chacun. À sa droite, au terme du pont, la fleuriste vit la Maison Mercier déjà aperçue le samedi. De style néogothique, elle exposait six étages tandis que les cinq autres inférieurs se confondaient avec le reste des constructions. Quasiment à ses pieds, la station Lausanne-Flon était un arrêt fondamental pour les deux lignes du métro. La gare éponyme était, elle, le terminus de cette ligne de chemin de fer à voie étroite : le Lausanne-Échallens-Bercher... Violette gara sa fourgonnette. Les Françaises réalisèrent avec vivacité des emplettes dans le supermarché.
L’hôtel juxtaposait un parking public. Ses clients béné-ficiaient d’un accès gratuit grâce à leur clé magnétique. À dix-neuf heures passées, tous les bagages étaient placés. Dans l’une des chambres, Violette s’assit sur le lit tandis que Marité occupait une chaise et Terry le sofa. En dînant, elles évoquèrent leurs parcours, leurs ambitions. Le goût des voyages, du patrimoine architectural, historique et naturel, de la photographie, du cinéma classique, de la lecture, de l’artisanat les rapprocha. En dépit de certaines difficultés, elles exerçaient le métier qu’elles avaient choisi.
Un silence s’installa... Marité plongea sa cuillère dans son dessert crémeux aux noisettes. Elle donna alors le signal.
« - Nous réfléchissons à notre problème ?... Nous sommes d’accord sur ces points. Ces types ont confondu Terry et moi à cause de la couleur, de la coupe de nos cheveux, de nos robes d’été. La similitude est d’avoir séjourné au même hôtel et d’être allées dans le même magasin de souvenirs.
- Puisque tu fus suivie après ta visite à ce dernier, tout part bien de là. » reprit Terry, en savourant sa banane.
Violette martela ses propos avec son index.
« - Vous l’avez dit ! Vos discussions furent banales avec la caissière, un inconnu... La seule curiosité demeure vos achats !
- On voit cela dans des films ! » sourit Terry. « Oui, je partage ton idée. Nous avons acquis un objet qu’il ne fallait pas. Maintenant, ces imbéciles veulent le récupérer !
- Et lequel est-ce ? Pourquoi le veulent-ils ?
- Marité, déposons sur le lit vos achats ! D’un côté, les tiens ; de l’autre, ceux de Terry. Nous les examinerons un par un ! »
La nourriture fut rangée, les mains lavées, la couette vide de tout sac, de document. Marité éparpilla près des oreillers ses achats : une vingtaine de cartes postales, des magnets, deux coucous, cinq porte-clés, une petite vache en peluche, un set de table, un mug... Violette utilisa une serviette de toilette pliée pour marquer une séparation. Alors, Terry disposa ses souvenirs : une quinzaine de cartes postales, des magnets, quatre porte-clés, un saint-bernard, un ours et une petite vache en peluche, trois sets de table, un coucou, un sac aux armoiries de Lausanne, un cou-teau, une boîte à musique, deux casquettes pour enfant.
« - Ils avaient tant de merveilles ! » souffla-t-elle.
Le couvre-chef qu’elle retourna n’offrait rien de suspect. Son étiquette était normale. Le résultat fut identique pour le second.
« - Jamais je n’ai vu autant de vaches en peluche dans une ville ! Elles ont une si mignonne bouille !... » sourit Marité en prenant la sienne qui semblait rire. « Que pourraient-elles cacher ?
- J’ai une idée ! » s’exclama Violette. De l’index droit, elle pointa chaque souvenir. « Partons du principe que nous avons raison !... Oui, le magasin a bien dissimulé un secret dans un objet !... L’une de vous deux l’a donc acquis. La caissière n’a pas réalisé le problème ou n’est pas une complice.
- Dans ce cas, ce souvenir n’est pas en libre service.
- Je confirme les propos de Terry... Les gens déplacent aussi les objets. Ceux-ci n’ont aucun signe reconnaissable.
- À part les petits en peluche !... Certains n’ont pas le même regard. » compara Violette.
Elle désignait les vaches et démontrait la justesse de sa réflexion.
« - Puisque ce n’était pas en libre service… » débuta Terry.
En poussant ses cheveux derrière les oreilles, elle plaça dans son sac certains de ses souvenirs. Sur le lit, elle ne garda que l’ours, la vache, les trois sets de table, les porte-clés, la boîte à musique, le sac, le coucou. Marité l’imita. Dans sa partie, il restait le set de table, les coucous, les porte-clés, le mug, la petite vache.
« - L’employé les a tous pris derrière le comptoir. Pour ma copine suisse, il venait d’en ramener de la réserve. » expliqua-t-elle. « Et maintenant, voyons ! Si vous voulez donner un objet à quelqu’un en particulier…
- Je devine ta pensée !... Idem pour mon ours ! Soit tu colles une étiquette, soit il porte un signe... distinctif, assez visible, soit tu le mets à un endroit précis !
- Terry a raison !... » reconnut Violette. « Ici, les seules étiquettes sont celles des prix, du fabricant. Aucune de vous deux n’a remarqué une hésitation de l’employé, de la caissière ? »
La réponse négative fusa dans un parfait accord. Toutes trois se partagèrent les examens : les sets, les porte-clés, le mug, le sac, toutes les lames du couteau. Le pull rouge avec la croix blanche de l’ours beige ne cachait aucun mot ou objet. La vache de Terry ne portait pas de vêtement. La vétérinaire sortit une petite pince de sa pochette de voyage.
« - Elle m’est utile pour mes randonnées à cause des échardes. Il nous reste les coucous et la boîte à musique.
- L’objet doit s’ouvrir facilement ! Je tente avec mes coucous ! »
Délicatement, Marité ôta la paroi arrière de son premier coucou : rien. Le second ne dévoila pas un secret. Poussée par l’adrénaline, Terry souffla :
« - J’essaie avec le mien !... De toute façon, il n’y a plus que ma boîte à musique et lui.
- … Oh !... Nous avons trouvé ! » souffla Violette.
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