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Dominique Letellier, auteur
















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Le 08 décembre 2018,
parution de mon quatrième roman

entre joyeux lurons, jeu, cinéma de 1930 à 1980,
énigmes, sites emblématiques dans 5 villes uniques
et ECLATS DE RIRE !
Moteur ! Nous jouons !

En 2020, des actions et
nos rencontres !


* Le 20e Salon du Livre et des Cultures
du Luxembourg
à Luxembourg-Ville
(Grand-Duché de Luxembourg)

le samedi 29 février 2020
le dimanche 1er mars 2020





















































Légendes

Légendes couverture
Avec Alex, rencontrez
des fantômes bloqués dans un château muré en Normandie
et menez l'enquête !


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L'évasion au détour de chaque page...










































PIÈGES

Chapitre 1

Samedi 30 septembre 1995

                 Plus rien ne pouvait dorénavant s’opposer à ses projets. Marion laissa échapper un soupir. L’inquiétude des semaines, des mois passés venait enfin de disparaître. Pourtant, son voyage commençait seulement : la partie la plus difficile de son périple débutait. La jeune femme regarda le panorama. L’avion perdait peu à peu de l’altitude. Perchés entre les hautes montagnes, des lacs de couleur verte ou bleue se dévoilaient, entourés de pics et de végétation verdoyante.
« - Vous verrez, l’approche sur la ville est remarquable. Vous aurez une vue exceptionnelle ! »
Elle se tourna vers son voisin et esquissa un sourire.
« - J’avais oublié que vous connaissiez...
  - Comme vous pourrez le constater par vous-même, Vancouver est une métropole réellement magnifique... Vous aurez un souvenir inoubliable de vos vacances. »
Les traits de Marion demeurèrent imperturbables. Scott Brincat, tel qu’il s’était présenté, ne put se douter un dixième de ses idées à cet instant précis. Oui, les jours prochains seraient gravés à jamais dans sa mémoire, mais assurément pas comme l’imaginait l’homme, ni… elle-même en dépit de toutes ses précédentes pensées... Se calant dans son fauteuil, elle contempla à nouveau le paysage. Le Boeing survolait déjà Vancouver. Terminant la presqu’île, le Stanley Park s’étendait fièrement. Entre son extrémité et le continent, le centre ville, hérissé de gratte-ciel, s’offrait à son regard. Elle eut juste le temps d’apercevoir Canada Place, symbolisée par ses coques de bateau renversées, que l’avion amorçait sa descente vers la piste d’atterrissage.
                 Dans les couloirs de l’aérogare, la jeune femme suivit les passagers. Munie de son sac, gardé en cabine durant le vol, elle patienta à la douane avant de franchir sans encombre ce barrage. Des appareils de compagnies américaines s’apprêtaient à décoller dans les deux heures qui venaient et une grande effervescence régnait dans le hall. Marion observa autour d’elle. Ces touristes l’avaient distraite de son objectif. Une moue sur les lèvres, elle détailla chaque mètre carré. Quand ses yeux se posèrent enfin sur une silhouette connue, elle parvint à demeurer impassible. Elle avait marqué un premier point; à elle de gagner maintenant l’autre dans cette deuxième manche. Néanmoins, elle hésita une seconde. Une image vint s’incruster dans son esprit. Alors, toutes ses incertitudes et ses scrupules s’envolèrent. D’un pas rapide, elle marcha jusqu’à la sortie.
                 Les battants des portes vitrées coulissèrent. Le soleil brillait. Marion fit glisser ses lunettes, ce qui la fit heurter du bras un voyageur.
« - Ravi de vous revoir!» s’exclama ce dernier.
  - De même mais... mais désolée de vous avoir bousculé: je suis plutôt maladroite ! »
Scott Brincat esquissa un large sourire.
« - Je vous pardonne si vous me permettez de vous accompagner jusqu’au centre ville. Nous pourrions partager un taxi; cela nous évitera des frais à chacun. »
La sentant indécise, il ajouta :
« - Vous ne me craignez tout de même pas, j’espère !
  - Bien sûr que non!» répondit-elle, d’une voix enjouée.
  - Vous n’avez que ce bagage ?
  - Ne vous inquiétez pas; j’ai tout ce qu’il me faut à l’intérieur! Nous y allons ? »
L’homme saisit sa mallette de cuir et avança sur le trottoir.
« - Ne bougez pas. Dans un court moment, un carrosse sera à votre entière disposition ! » lui lança-t-il, en traversant la rue pour rejoindre un taxi garé du côté opposé.
Un léger rire s’empara de Marion à l’attitude charmeuse de son compagnon. Sa gaieté s’évanouit malgré tout brutalement et l’avertissement tomba trop tard: une voiture venait de percuter Scott Brincat. Il gisait désormais sur le bitume, au milieu de la chaussée, tandis que le véhicule fautif avait disparu. Comme l’ensemble des passants qui avait assisté, impuissant, à la scène, la Française demeura interdite. Certaines personnes se précipitèrent vers le corps inerte. Avec un malaise indéniable, elle s’agenouilla près de son ancien voisin de vol.
« - Il est mort. » constata l’un des témoins.
Marion sentit ses yeux picoter. Grâce à ses verres teintés, son trouble fut invisible. Elle dut faire un effort sur elle-même pour se maîtriser. Ce drame venait de tout bouleverser.
« - Je vais prévenir la police de l’aéroport. » reprit le touriste.
Repoussant son constat d’échec, la jeune femme s’efforça à réfléchir très vite. La présence d’enquêteurs ne l’arrangeait pas. Elle étudia les environs. Seuls deux individus étaient restés près de là et ils discutaient. Alors, prestement, elle s’empara du portefeuille de Scott Brincat qui avait glissé de son veston. Tout aussi rapidement, elle le dissimula dans la vaste poche de son propre gilet. En même temps, elle sentit un regard insistant. S’obligeant à relever la tête, elle vit que l’un des hommes la dévisageait et elle comprit aussitôt qu’il l’avait vue agir. Les lunettes de soleil de l’inconnu l’empêchèrent de discerner, dans sa totalité, son expression. Ils se fixèrent, immobiles et muets, l’un et l’autre.
« - Le voilà ! Nous n’avons pas pu relever le numéro d’immatriculation de la voiture. Mais je peux dire qu’il s’agissait d’une Toyota bleue... Le conducteur s’est enfui immédiatement. Pour ce pauvre monsieur, il... il a traversé sans même regarder si des véhicules survenaient. »
Marion n’écoutait déjà plus ce témoignage d’un tiers. Pleinement détachée, elle se dirigea vers l’aérogare. En pénétrant à l’intérieur, elle aperçut une ombre sur la porte : l’homme aux lunettes lui avait emboîté le pas. Dans le hall, près du guichet d’informations, une vingtaine de Japonais patientaient. Elle se glissa jusqu’à eux pour se camoufler derrière un couple. Risquant un œil, elle vit l’inconnu s’arrêter et observer autour de lui. Un rictus marqua le coin de sa bouche. Aussi, son dernier doute disparut : elle devait compter sur un nouvel adversaire. Quinze heures cinquante-cinq. Quitter l’aéroport était son premier objectif. Optant pour prendre un taxi, la Française écarta cette idée. Après l’accident mortel de Scott Brincat, elle n’avait confiance en quiconque. La navette serait plus sûre. Elle épia les parages : l’homme aux lunettes de soleil avait disparu de son champ de vision. Cependant, essayant d’être à chaque fois en compagnie de passagers, Marion gagna les toilettes. Là, elle rangea le portefeuille de Scott Brincat dans sa pochette de voyage. Son gilet caché dans son sac, elle noua ses cheveux châtain mi-long sur la nuque. Pour finir de changer d’apparence, elle troqua son jean par une jupe courte avant de se maquiller, appliquant également une touche de rouge à lèvres, ce qu’elle détestait. Le miroir doré lui renvoya son image. Ces modifications seraient-elles suffisantes ?
                 La jeune femme aspira une bouffée d’air. Elle s’empressa d’abord de retirer deux cents dollars canadiens d’un distributeur. Elle acquit ensuite un aller simple pour le centre ville. La navette partait dans quinze minutes. Marion rejoignit un groupe de personnes sur le trottoir. A son grand soulagement, l’autocar arriva bientôt. Un à un, les voyageurs montèrent.
« - Une espionne reste toujours une espionne ! »
Son sang se glaça à ces paroles prononcées sur un ton bas. Elle s’accorda une seconde pour reprendre ses esprits puis tourna la tête. La voix, légèrement rauque, appartenait à l’inconnu aux lunettes, âgé d’une trentaine d’années. Enfin, le terme « inconnu » devenait de plus en plus fort inapproprié dans un sens. Elle savait qu’il avait emprunté le même vol qu’elle, en provenance de Paris. Elle l’avait d’ailleurs remarqué à cause de ses lunettes qu’il ne semblait pas avoir quittées. En outre, son physique - châtain clair, traits fins - ne l’avait pas laissé entièrement froide, à sa vive surprise. Ne sachant quoi répondre pour ne pas se dévoiler davantage, Marion haussa finalement les épaules. Grimpant à son tour, elle s’assit dans le fond du véhicule.
                 Alors que la navette roulait sur une large avenue, ses pensées revinrent sur l’homme. Il était là, debout, au milieu de l’autocar. « Une espionne ». Elle en frissonna. Non, nul ne pouvait avoir deviné ses plans. Même si quelqu’un l’avait vue discuter amicalement avec Scott Brincat, il ne pouvait absolument rien en déduire. Que des passagers fissent connaissance au cours d’un vol de dix heures était relativement fréquent et ils n’étaient pas du tout considérés comme des espions. En plus, elle n’était pas une espionne professionnelle, ni même débutante. Pourtant, si, un an plus tôt, quelqu’un lui avait prédit le rôle qu’elle jouerait aujourd’hui, elle lui aurait ri au nez. Mais il y avait eu Jessica...
Non. Comment l’inconnu l’avait-il associée à une espionne ? Une voleuse, oui, elle n’était pas en mesure de le nier. Toutefois, pourquoi était-il demeuré muet? Marion était certaine qu’il ne l’avait pas dénoncée aux autorités de l’aéroport. Ces dernières lui auraient déjà demandé des explications. Discrètement, elle observa l’homme. Il n’avait pas bougé d’un centimètre; sa main gauche était posée près d’un sac, sur le porte-bagages. Elle examina alors les autres passagers pour tenter ensuite de freiner son imagination. Son méfait sitôt accompli, le meurtrier de Scott Brincat allait obligatoirement rester dans l’ombre. Cette idée l’amena à réfléchir sur la donnée de cet inattendu problème. Pourquoi et qui avait intimé l’ordre de tuer Scott Brincat, d’assassiner l’adjoint de Ronald Greeman, le plus important trafiquant de drogues au Canada ?
                 Un appel du chauffeur l’interrompit dans ses réflexions. Le véhicule était arrêté à proximité du Georgia Hotel où la jeune femme devait séjourner. Ignorant l’inconnu, elle passa devant lui et descendit en même temps qu’une personne qui s’éloigna aussitôt. La navette commença à remonter Georgia Street. Quand l’autocar disparut de sa vue, Marion avança dans cette longue rue qui s’étendait jusqu’au Stanley Park. Le soleil brillait toujours; une journée idéale pour visiter Vancouver et la Colombie Britannique. Mêlée aux passants, la Française s’attendait cependant à ce qu’une voiture s’arrêtât à chaque moment à sa hauteur. Ses craintes diminuèrent lorsqu’elle fut entourée de gratte-ciel, de bâtiments financiers ou d’affaires, de l’Eaton Centre: elle était au cœur même de la ville. Avant de pénétrer à l’intérieur de son hôtel, elle ne put s’empêcher de regarder derrière son dos. Aucun individu inquiétant n’était présent. Rassurée, elle entra dans le hall.
                 Quelques minutes plus tard, munie d’un message, Marion empruntait l’ascenseur jusqu’au quatrième étage. La porte de sa chambre verrouillée, elle s’empressa de lire la missive.
« - Bonjour. Permettez-moi de vous souhaiter la bienvenue au Canada. Vous pouvez me joindre au 604 319 6820. J’attends votre appel. Amicalement. Mei Shunfu. »
La jeune femme apprit par cœur le numéro. Elle déchira le papier en petits morceaux pour pouvoir les jeter dans les toilettes. Patiemment, elle attendit que toute trace ait ainsi disparu. Dans la pièce principale, son regard tomba sur le téléphone. Saisie par une intuition, elle pria la réception de l’avertir en cas de visites. Songeuse, assise sur l’un des lits, Marion ôta ses chaussures puis dénoua ses cheveux. Prenant son guide sur Vancouver, elle mémorisa à nouveau les rues les plus importantes, les différents quartiers et la position des sites essentiels. Quand elle fut vraiment satisfaite de la maîtrise de ses connaissances, elle alla se doucher. L’eau chaude sur sa peau la calma peu à peu, pour autant que cela pouvait être possible.
                 Le réveil sous l’écran de télévision signalait dix-sept heures trente à son retour dans la chambre. Alors seulement, elle s’empara du portefeuille dérobé. En premier, elle compulsa le passeport. Brincat Scott, né le 12 avril 1958 à Drumheller, Alberta, Canada. Les cachets des pays récemment visités indiquaient la Bolivie, la Thaïlande, la Suisse, la France. Elle reposa le document; elle connaissait déjà ces renseignements. Depuis plusieurs mois, elle avait étudié toutes les informations dont ils disposaient.
Un permis de conduire, des cartes bancaires et de téléphone, quatre cent cinquante dollars canadiens, trois cents américains et deux cents francs français, un calendrier et une clé extra plate.
D’une poche, Marion retira un papier, plié en quatre. Une annotation figurait : « JP.O.M - 2 oct. Voir pour délais. Vérifier les coordonnées bancaires ». L’écrit rangé à sa place initiale, elle disposa le portefeuille à l’intérieur d’une chemise plastique. Une sonnerie retentit. Après un instant d’incompréhension, la jeune femme reconnut la sirène d’incendie. Elle fourra ses affaires dans son sac. Laissant ce dernier à terre, elle ouvrit la porte: aucune agitation particulière ne régnait dans le couloir. Sortant de l’ascenseur, une employée l’aperçut. Avec un sourire, elle lui annonça :
« - Ce n’est rien ; il s’agit juste d’une erreur technique ! »
Interloquée, la Française la dévisagea avant de regagner sa chambre. Elle composa ensuite un numéro de téléphone.
« - Bonjour Mei Shunfu, je suis Marion Leroy.
  - Je suis enchanté de vous entendre ! »
Un court silence s’installa puis l’homme reprit :
« - Marion, j’ai de mauvaises nouvelles... Scott Brincat a été tué... Nous allons devoir modifier notre méthode d’approche...
  - Que savez-vous sur sa mort ?
  - Son décès ne semble pas vous surprendre !
  - J’étais présente à l’aéroport... Alors ?
  - Dans le milieu, un seul bruit a couru immédiatement : Brincat a été assassiné sur l’ordre de Norman Grant qui est le rival de Ronald Greeman. Comme vous le savez, tous deux se battent pour obtenir la suprématie sur le marché du continent nord-ouest américain.
  - Quelle est la réaction de Greeman ? Qu’a-t-il dit ?
  - C’est le black-out total... Il aurait ordonné le silence à ses complices. »
Marion réfléchit.
« - Quand puis-je vous voir ?
  - Aujourd’hui. Je peux passer à votre hôtel dans une demi-heure.
  - Disons plutôt dix-huit heures trente, au coin de Granville et de Georgia, au niveau du magasin The Bay... Comment vous identifierai-je ?
  - Je porterai une pochette rouge et blanche à mon veston... Soyez prudente surtout ! »
Elle raccrocha. Peu après, l’essentiel de ses biens - argent et passeport - était glissé dans la pochette de voyage et son sac enfermé dans un placard.
                 Quand Marion arriva sur les lieux du rendez-vous, son image était celle d’une jeune femme de trente ans, parfaitement sûre d’elle. Dix-huit heures vingt-huit. Dans ces rues très fréquentées qu’étaient Granville et Georgia, une grande animation persistait. Elle détailla les trottoirs, les alentours. Aucun conducteur n’attendait dans sa voiture; aucun personnage louche ne patientait dans un périmètre immédiat. Dix-huit heures trente-deux. Un homme d’une quarantaine d’années remontait Granville Street. D’un pas pressé, il franchit les vingt derniers mètres: son veston s’ornait d’une pochette rouge et blanche. D’emblée, il serra sa main avec une poignée énergique.
« - Marchons un peu, voulez-vous ? » lui proposa-t-il.
Sous un ciel bleu pur, ils s’éloignèrent du carrefour pour descendre vers Canada Place.
« - La mort de Brincat est un coup dur pour nous tous.
  - Avez-vous appris d’autres éléments depuis notre entretien ? »
Mei Shunfu esquissa une mimique.
« - Pour le moment, Grant nie avoir une responsabilité.
  - Mais il est indéniable que Brincat ait été renversé volontairement. Peut-être souhaitait-on lui donner un simple avertissement et non le tuer... Néanmoins, le fait est là: Greeman a perdu son adjoint... Et cela ne nous arrange pas… Bien au contraire...
  - Je ne suis pas si pessimiste que vous ! »
Marion resta impassible alors qu’elle avait l’impression d’être en feu.
« - Votre but est toujours d’approcher Greeman ?
  - Nous n’avons pas changé d’objectif.
  - Vous aviez le projet d’utiliser Scott Brincat pour parvenir à vos fins... et, ceci, d’une manière particulière...
  - Qu’essayez-vous d’insinuer ? » interrogea-t-elle, la bouche soudain sèche.
  - Vous êtes une jolie femme et, vous comme moi, vous saviez que Brincat n’avait jamais pu résister à la gent féminine, surtout si elle était dotée d’une réelle intelligence.
  - Je n’avais pas du tout l’intention de coucher avec lui pour atteindre le résultat final escompté... Si vous pensiez ainsi...
  - Je suis profondément désolé de vous avoir froissée. » s’excusa l’informateur, sincère. « Je voulais plutôt dire que Brincat avait une réputation bien établie dans ce domaine.
  - Je sais. »
Après réflexion, la Française s’enquit :
« - Mei Shunfu, pouvez-vous quand même répandre le bruit que je veux acheter une très forte quantité de marchandise, d’excellente qualité, cela va de soi et... créer des liens durables...
  - Pour quel marché ?
  - … Français bien sûr ! Utilisons Saint-Pierre-et-Miquelon comme argument. C’est une base parfaite entre le Canada et la France. »
A son tour, l’homme demeura silencieux. Puis il hocha la tête.
« - C’est une idée mais vous devez vous préparer avec attention. Le risque est énorme.
  - L’enjeu aussi. »
Marion s’arrêta. Elle fixa son compagnon.
« - S’il vous plaît... Votre appui nous est précieux. Vous êtes implanté ici. »
Mei Shunfu la scruta.
« - Je ne connais pas vos motifs et j’obéis à des ordres... Il n’empêche qu’il est de mon devoir de vous avertir des dangers que vous courrez.
  - Ne vous en faites pas pour moi. Vous m’aiderez en me donnant tous les renseignements possibles et... en m’ouvrant la voie.
  - J’admire les gens déterminés. »
Une moue sur les lèvres, il annonça tandis qu’ils reprenaient leur marche.
« - Je pense qu’une certaine personne pourra nous seconder... à son insu.
  - Qui... Comment ? » demanda la jeune femme, avec hâte.
  - John-Philip O’Malley.
  - Un Irlandais ?
  - Un Canadien... Il s’était engagé dans le milieu… côté US... Il a été embauché par Greeman depuis plusieurs semaines... pour être, en fait, son plus proche collaborateur.
  - Intéressant...
  - O’Malley ne résiste jamais longtemps, non plus, à une jupe et cède souvent aux yeux de la propriétaire de ce vêtement.
  - Oh !... Très… intéressant... Quand arrive-t-il ? Et qui est-il exactement ?
  - D’après la rumeur, il sera à Vancouver sous huit jours... Son retard est dû à un accident d’hélicoptère, près de Jasper, en Alberta.
  - Tiens, tiens. » murmura Marion.
  - Certes, même si Grant voit d’un mauvais œil la venue de O’Malley chez Greeman, l’accident peut être d’origine mécanique.
  - Que s’est-il passé au juste ?
  - L’hélicoptère venait de décoller; il est brusquement retombé quelques mètres plus loin. Un incendie s’est déclaré. Malgré l’arrivée rapide des secours, cela était déjà trop tard pour le pilote et un passager. On ignore cependant comment O’Malley a été éjecté... Ce qui lui a sauvé la vie... Il était assez commotionné...
  - Mais vivant... heureusement pour lui.
  - Et pour Greeman !... Celui-ci tient à son nouvel adjoint. Dans le milieu, ici même à Vancouver et dans le nord-ouest américain, O’Malley a une très bonne réputation de fin négociateur et de connaisseur.
  - Et il nous suffirait de le rencontrer pour affaires et ensuite d’utiliser son point faible pour... continuer notre relation. Cela me permettrait de connaître un peu mieux les tenants et les aboutissants.
  - Marion, quel est donc votre but véritable ? Démanteler l’organisation ?
  - C’est à cela que vous pensez d’abord ? »
Mei Shunfu resta énigmatique. Un sourire effleura peu après ses lèvres. La main sur l’avant-bras de sa compagne, il répondit :
« - Vous avez raison; je me mêle de ce qui ne me regarde pas. Peu importe votre objectif et la raison de votre présence à Vancouver. J’espère seulement que vous savez ce que vous faites car vous n’avez aucun droit à l’erreur... quels que soient vos projets... Greeman n’est pas un enfant de chœur.
  - Je ne veux pas acheter sa marchandise et l’escroquer... En fait, mon but est d’acquérir une quantité suffisante pour obtenir une entrevue avec lui.
  - Une quantité qui sera destinée au marché français.
  - Pourquoi pas? Le marché est libre, si je peux m’exprimer ainsi. Et d’ailleurs, il s’agit de notre problème, non du sien... Dites que je travaille avec un trafiquant français important qui désire augmenter ses propres ventes. Je me charge de ce personnage...
  - Je vous ferai entrer en contact avec Greeman.
  - Je pense que sa lutte avec Norman Grant nous est favorable. Il sera sans aucun doute réellement intéressé d’entreprendre une ouverture sur la France et d’obtenir, de cette manière, de nouveaux débouchés. Si je suis munie d’excellents arguments et parais convaincante, je pourrais inciter Ronald Greeman à collaborer pour notre... réseau... Progressivement, nous tisserons des liens qui l’amèneront à négocier de plus en plus avec nous.
  - Si vous avez des fonds suffisants. Greeman est très gourmand à ce sujet ; il aime mener une belle vie.
  - Ne vous inquiétez pas: nous avons des ressources en conséquence. »
Après une brève interruption, Marion reprit :
« - Quand pourrez-vous me donner une réponse ?
  - Là, laissez-moi du temps... Croyez-moi, il m’en faut ! » répliqua l’Asiatique, en la voyant broncher.
  - Nous en avons peu devant nous... Vous comme moi, je crois !
  - Puis-je donner votre adresse ?
  - Le Georgia Hotel, oui.
  - Dès aujourd’hui, je parlerai de vous. Si Greeman est vraiment intéressé par votre proposition, il vous contactera très vite. »
Un silence domina. Leur marche les avait conduits dans Water Street; ils dépassèrent un groupe de touristes.
« - A partir de ce soir, je cesse d’exister pour vous... du moins, si vous voulez joindre la France. Je ne vous connaîtrai que pour la raison officielle de votre venue, ici, au Canada.
  - Et en cas d’urgence ?
  - Je ne peux me découvrir... Même pour vous... Je suis désolé, Marion... Si un grave problème survenait, contactez le consulat.
  - Directement... ni plus, ni moins.
  - Nous n’avons absolument pas le choix.
  - Je comprends fort bien votre position... En tout cas, merci beaucoup, Mei Shunfu. »
L’homme serra la main tendue. Il lui adressa un sourire puis s’éloigna.
                 La jeune femme traversa la rue pavée. Les lampadaires de style ancien accentuaient le charme de Gastown, le plus vieux quartier de Vancouver. Cette partie de la ville devenue une zone plutôt défavorisée, la municipalité l’avait rénovée dans les années soixante-dix. Les maisons victoriennes étaient aujourd’hui des restaurants et des magasins chics en majorité. Dix-neuf heures quinze : un nuage blanc s’échappa de l’horloge à vapeur, dressée à l’ouest de Water Street. La Française observa le mécanisme avant de quitter le site. Peu à peu, elle revint vers le centre moderne de la métropole. Pendant près d’une heure et demie, elle se promena. Certains trottoirs se vidaient ; d’autres, au contraire, voyaient les gens de différents âges affluer vers leurs lieux de rendez-vous familiers.
                 De retour au Georgia Hotel, Marion dîna rapidement dans sa chambre. Une cinquantaine de minutes plus tard, elle s’assoupissait, plus vite qu’elle ne l’eût voulu, repoussant aussi au lendemain ses réflexions sur ses actes des prochains jours.

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