LA RECHERCHE
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Chapitre 1
Lundi 06 septembre 1999
Aubégnac, FRANCE
«- Alors, tu rêves?»
Lauren sourit à la jeune femme qui venait de l’interpeller. Si Marina avait de longs cheveux blonds relevés en chignon sur la nuque et des yeux gris verts, Lauren possédait de courts cheveux châtain et des yeux bleus. Elles avaient exactement le même âge: trente et un ans. Institutrice à Aubégnac, ce village niché dans l’arrière-pays niçois, Marina avait invité son amie à venir se reposer durant la dernière semaine des vacances scolaires. Arrivée deux jours plus tôt, Lauren profitait de son séjour au maximum, se replongeant, avec bonheur, dans ce calme verdoyant et dans cette paix, si différente et si lointaine de sa vie parisienne.
«- Désires-tu venir accueillir mon charmant frère?… L’autocar ne va pas tarder à arriver.»
Lauren se leva.
«- Avec plaisir... Michel doit être ravi de passer ici quelques jours avant la rentrée!
- Oh oui! Son meilleur copain est parti en Suisse cette semaine. Alors, Nice, sans lui, durant ces huit longs jours...
- C’est la catastrophe et le véritable ennui!»
Sans se presser, elles marchèrent dans la rue déserte, pavée. De multiples parfums s’échappaient des jardins fleuris. Lauren retrouvait avec délice ces senteurs qu’elle aimait et qui lui rappelait les vacances chez ses grands-parents à Aubégnac. C’était dans ce village qu’elle avait lié connaissance avec Marina. Très vite, les enfants étaient devenues inséparables. Adultes, elles conservaient ces liens précieux même si leur travail respectif les avait éloignées l’une de l’autre géographiquement.
Les deux amies parvinrent bientôt sur la place publique. Aubégnac était fier d’exister depuis plusieurs siècles. Mais, sa seule richesse, hormis son centre ville historique, était la petite église catholique qui recelait de nombreux vitraux. A deux kilomètres de là, un château fort restait perché sur une colline rocheuse. Ses ruines n’offraient cependant pas un réel intérêt et les touristes ne s’arrêtaient guère pour les visiter ou pour admirer le panorama, pourtant splendide, qui s’offrait aux yeux. Chaque année, le nombre d’habitants dans le village ne cessait, aussi, de décroître, au désarroi de la municipalité qui s’avérait impuissante devant cet exode. Aujourd’hui, les principaux commerces se trouvaient autour de la grande place, bordée de chênes, et où s’arrêtait l’autocar qui opérait entre Nice et Aubégnac deux fois par jour.
Le ronronnement d’un moteur puissant s’entendit. Le bus déboucha de la rue principale pour s’immobiliser avec un lourd grincement de freins devant le terminus. Le chauffeur ouvrit la soute à bagages. Certains voyageurs s’éloignèrent peu après.
«- Salut les filles!»
Un adolescent brun, de dix-sept ans, à l’allure sportive, dévala les marches du véhicule. Le frère de Marina avait un visage rieur, parsemé de taches de rousseur. Il embrassa les deux jeunes femmes.
«- Je suis content de te revoir, Lauren!... et que tu tiennes également compagnie à ma sœurette pendant mes vacances... Elle pensera ainsi un peu moins à moi...
- Au lieu de dire des âneries, mon gars, tu ferais mieux de prendre ta valise! Tu vois pas que Monsieur attend ton bon vouloir!» s’exclama le chauffeur, faussement outré par cette attitude désinvolte.
Michel se retourna et fit face au dernier passager qui était, en effet, encore présent.
«- Désolé, M’sieur, mais vous savez, les retrouvailles!» lui lança-t-il avec un clin d’œil.
Âgé d’une trentaine d’années, l’homme esquissa un sourire que Lauren jugea un peu crispé. Du regard, il semblait chercher quelqu’un ou quelque chose. La voix du chauffeur le ramena soudain à la réalité. L’inconnu saisit alors promptement son sac de voyage léger. Après une courte hésitation et un signe de tête à l’adresse de Michel, il s’éloigna en traversant la place. Fixant son frère avec surprise, Marina interrogea en fronçant les sourcils:
«- Tu le connais?... Il n’est pas du village pourtant!
- Je le sais!... Il était déjà dans l’autocar lorsque je suis monté. Je me suis retrouvé assis à côté de lui. Nous avons un peu discuté durant le trajet... sauf quand il dormait, ce qui était assez fréquent... Il venait de l’aéroport de Nice puisque c’est l’arrêt avant le mien et... le premier...»
Après un silence, Michel reprit, songeur:
«- ... Je me demande ce qu’il vient faire ici... sans connaître personne au village.
- Qui te dit cela?... Il connaît peut-être certains habitants justement!» riposta Lauren.
- Lui! Il m’a dit qu’il ne connaissait personne ici!» rétorqua l’adolescent, triomphant.
- Bon, alors, au lieu de vous interroger sur Monsieur-l’étranger-qui-n’a-pas-de-relation-à-Aubégnac-mais-qui-daigne-passer-ses-vacances-dans-notre-très-beau-village, désirez-vous, oui ou non, m’accompagner à la maison?» débita Marina.
Lauren sourit. Avant de s’éloigner avec ses amis, elle ne put s’empêcher toutefois de jeter un regard derrière elle: l’homme avait totalement disparu. Une heure plus tard, les trois jeunes gens déjeunaient dans le jardin. Sous un doux soleil, ils discutèrent des jours passés et de leurs projets de vacances.
L’après-midi débutait seulement lorsque Lauren et Marina décidèrent de se promener dans Aubégnac, laissant Michel se délasser selon son bon plaisir. Flânant dans les rues, elles marchèrent paisiblement, bavardant avec des villageois de temps à autre. Les jeunes femmes s’installèrent à la terrasse de l’unique café et commencèrent à observer les joueurs de pétanque qui s’amusaient non loin de là. Soudain, Lauren poussa du coude le bras de son amie. D’une ruelle, l’inconnu de l’autocar venait de surgir. Elles le suivirent du regard et le virent entrer dans la petite gendarmerie.
«- Curieux comme visite touristique!» souligna Lauren.
Elle finissait à peine sa phrase que l’homme ressortait déjà du bâtiment. Il avança d’un pas puis s’arrêta. Regardant autour de lui, il avisa le café et traversa la place. Les deux amies notèrent alors qu’il n’avait plus son blouson ni son sac. Quelques instants plus tard, il s’installa à une table de la terrasse. Tout en sirotant sa boisson, Lauren scruta discrètement l’étranger. Le visage imberbe, entouré de cheveux bruns et de mèches rebelles, dégageait un charme certain. Des traits fins et réguliers émanait une force. Les sourcils froncés, l’homme mangeait distraitement son sandwich, plus occupé à lire le quotidien, s’attardant surtout sur les pages locales. La jeune femme vit, très brusquement, l’expression de son visage changer. Réussissant à maîtriser l’émotion visible durant quelques secondes qui s’était emparée de lui, l’inconnu poursuivit sa lecture avec hâte, mais avec une attention indubitable. Quand il eut fini l’article, il vida d’un trait son verre d’eau et quitta la table.
«- Pour un étranger au pays, la lecture du journal l’a beaucoup troublé!
- Je l’ai lu ce matin; je n’y ai rien remarqué d’intéressant en particulier.» dit Marina.
- Toi, non, mais lui, oui, à l’évidence!... Je me demande ce qui a pu le marquer à ce point-là!» s’interrogea Lauren, dubitative.
Tout en parlant, elle avait continué de suivre l’homme des yeux. Il avait pénétré dans la cabine téléphonique de la place. Hésitant un court moment, il composa rapidement un numéro. Quelques secondes plus tard, il raccrochait. Après un regard dans le journal, il appela à nouveau. Cette fois, il parla mais l’entretien fut bref. L’étranger sortit de la cabine pour s’éloigner lentement et disparaître au coin d’une rue.
Alors, Lauren et Marina cessèrent de penser à lui. Avec entrain, elles évoquèrent des anecdotes de leur vie professionnelle. Pendant plus d’une heure, elles continuèrent ensuite leur promenade, discutant toujours avec animation. Tranquillement, elles revinrent vers la maison de l’institutrice. Là, posté devant le jardin, elles reconnurent l’inconnu. Le visage de l’étranger marqua le même étonnement à leur vue. Quand Marina posa la main sur le battant de la grille, il prit la parole:
«- Bonjour! Excusez-moi de vous déranger à cette heure, mais il m’a été dit que Marina Dubourg habitait ici...»
Les jeunes femmes échangèrent un regard. Son accent le trahissait; l’homme était un Canadien francophone. Essayant de cacher sa surprise, Marina confirma:
«- Cela est exact: je suis Marina Dubourg... Que me voulez-vous?»
L’inconnu esquissa un sourire gêné.
«- ... Voilà, j’ai besoin de consulter les journaux régionaux récents... Malheureusement, le cafetier et le libraire n’en disposent plus... Cependant, le libraire m’a dit qu’il fournissait également l’école, que je pourrais peut-être y trouver quelques exemplaires...
- Mais l’école est fermée! Ce sont les vacances scolaires.
- C’est ce que j’ai appris... et qui m’ennuie... Mais je ne peux pas patienter jusqu’à lundi prochain... Je ne serai sans doute plus là.» reprit l’homme dont l’accent était plus ou moins perceptible selon les mots.
Lauren réfléchit un instant puis s’adressa à son amie:
«- Mais tu as les clés de l’école!»
Comprenant ses pensées, l’institutrice approuva. Observant l’inconnu qui attendait sa réponse avec une anxiété non dissimulée, elle questionna:
«- Vous êtes réellement si pressé?
- Je suis sincèrement désolé de vous déranger mais ces journaux sont, en effet, très importants pour moi.»
Marina hésita encore. Elle regarda l’homme puis répliqua:
«- C’est d’accord, je vais chercher les clés.
- Je vous remercie infiniment pour votre aide et votre gentillesse.» répondit le Canadien avec un sourire chaleureux qui n’effaça toutefois pas le pli soucieux marquant son front.
Aussitôt, Marina se rendit à l’intérieur de la maison. Adossée aux troènes, Lauren évita de poser son regard sur l’étranger. Ainsi, elle ne s’était pas trompée. La seule lecture d’un article paru dans le quotidien de ce lundi l’avait suffisamment ému pour que l’homme se sente obligé d’approfondir ses investigations sur les reportages écrits les jours précédents. Curieuse de nature, Lauren était, de nouveau, intriguée par l’inconnu. Pourquoi était-il venu du Canada jusqu’à Aubégnac, à plus de cinq mille kilomètres? Dans un village qui ne suscitait pas grande curiosité touristique et que les vacanciers boudaient en temps ordinaire. Lauren vit son amie qui revenait. Sans une parole, ils marchèrent rapidement vers la place qu’ils traversèrent.
Lorsqu’ils arrivèrent devant l’école, le visage du Canadien était toujours aussi pensif. Dans la bibliothèque, Marina désigna l’un des présentoirs.
«- Vous trouverez le quotidien régional et deux journaux nationaux... Le plus ancien exemplaire, ici, remonte à un mois. Les autres numéros sont déjà archivés mais je peux les ressortir si besoin est.
- Je pense que cela ne sera pas nécessaire... Merci beaucoup en tout cas.»
L’homme saisit la pile des quotidiens et s’installa à une table. Il commença par examiner les journaux les plus récents, datant d’une dizaine de jours à celui de la veille. Par souci de discrétion, les deux amies s’éloignèrent un peu. Dans la pièce, régna alors un silence, entrecoupé par le bruit des feuilles tournées rapidement. Au bout de plusieurs minutes de patience, Lauren se leva, en adressant un clin d’œil à Marina. Elle prit un livre, en lut un bref passage puis le reposa. Elle s’avança le long d’une étagère, jusqu’à ce que, derrière celle-ci, se trouve la table de l’inconnu. Faisant semblant de s’intéresser aux ouvrages devant elle, Lauren se haussa afin d’apercevoir le journal étalé. Mais l’homme le replia. Il en saisit un autre et l’ouvrit avec empressement à une certaine page. Lauren reconnut l’intitulé des informations locales. Le Canadien parcourut la feuille en diagonale avant de refermer le quotidien. Le posant sur la pile de gauche, il prit l’exemplaire suivant pour le consulter, de nouveau, à une page donnée. Soudain, son regard s’arrêta à un article précis. La jeune femme se pencha davantage. Avec difficultés, elle parvint néanmoins à déchiffrer le début du titre: «Une quatrième vic...». Consciencieusement, l’homme prit connaissance des lignes, mesurant chaque mot. Quand il eût fini, il paraissait soulagé. Il rangea vite le journal avec les autres quotidiens. Avec une légère précipitation, l’inconnu déposa l’ensemble sur le présentoir. Il se tourna vers Marina et Lauren, revenue entre-temps au bureau, le visage totalement innocent.
«- Je vous remercie encore beaucoup pour votre aide.»
Il les salua d’un léger signe de tête. Pivotant sur ses talons, il se dirigea vers la sortie. Peu après, la porte d’entrée de l’école claqua.
Aussitôt, Lauren regarda Marina. Cette dernière vit un sourire effleurer les lèvres de son amie.
«- As-tu vu ce qu’il lisait?
- Je crois que je peux retrouver l’article!»
Lauren descendit promptement du bureau. Elle saisit, à son tour, les journaux. Rapidement, elle les compulsa. Le nombre de quotidiens augmenta bientôt d’un côté et diminua de l’autre. Après plusieurs minutes de recherches, les traits de la jeune femme s’éclairèrent. Le regard triomphant, Lauren montra à Marina le seul article qu’avait lu attentivement l’homme. Le titre réel était: «Une quatrième victime dans la Vallée Maudite». Le journal datait de quatre jours.
«- Le corps d’un homme a été retrouvé hier après-midi dans la Vallée Maudite. En cinquante ans, ces lieux auront donc été la cause de quatre décès accidentels. L’individu gisait au fond de l’un des nombreux ravins. Il est tombé pour s’être approché trop près du précipice. Le sol, très friable, s’est alors dérobé sous ses pieds. Âgé d’une quarantaine d’années, l’homme était vêtu d’un costume de ville. Aucun papier ne permettant son identification n’a été retrouvé sur lui. L’enquête a été confiée à la gendarmerie d’Aubégnac. Les électeurs du village sont, de nouveau, et toujours, inquiets par cet accident mortel. Chacun est aussi en droit de s’interroger sur le manque d’actions de la municipalité et l’absence de barrières de protection autour de la Vallée Maudite, comme celle de panneaux de signalisation et de prévention...»
Lauren prit le quotidien du jour. Sans peine, aux pages des nouvelles locales, elle vit l’entrefilet qui avait tant bouleversé l’inconnu au café.
«- Les raisons exactes de la mort d’un homme qui a été retrouvé dans la vallée Maudite n’ont pas encore été élucidées. L’identité de la victime est également toujours un mystère. L’enquête sur ce décès serait maintenant entre les mains de la police judiciaire de Nice...»
Les jeunes femmes connaissaient toutes deux la Vallée Maudite évoquée pour s’y être promenées, adolescentes, à de nombreuses reprises. Il s’agissait en fait plus de gorges profondes, à la végétation parfois touffue. Une rivière assez tumultueuse serpentait. Les parois, abruptes par endroits, renfermaient quelques grottes, d’entrée souvent inaccessible. Chaque année, du bétail était retrouvé mort, tombé dans l’un des précipices ou emporté par le bord. Depuis que trois personnes, en cinquante ans, s’y étaient tuées accidentellement, la Vallée Maudite avait été ainsi surnommée. Et, dès lors, personne, ni même les plus téméraires, ne se risquait plus dans ces lieux trop dangereux.
«- Qu’en penses-tu?» interrogea Lauren, après un long silence.
- ... Je ne sais quoi dire... Peut-être... Peut-être connaissait-il cet homme? Peut-être... Et puis, non, aucune idée!» reprit Marina, agacée par l’énigme. «Je me souviens de la mort de l’homme. Cela a créé quelques remous au village... Mais la mairie n’a pas encore pris de décisions raisonnables pour éviter de tels accidents!
- Et ce Canadien est venu!» répliqua Lauren, en baissant la voix involontairement.
D’un ton normal, elle ajouta:
«- A l’expression de son visage ce matin, il devait tout ignorer du drame survenu dans la Vallée Maudite...
- Oui, mais...
- Mais il y a certainement un lien entre tout cela! Pourquoi est-il venu à Aubégnac et pourquoi voulait-il tant lire ces journaux aussi rapidement... et sans attendre jusqu’à lundi?
- Ne t’inquiète pas autant!» s’esclaffa Marina subitement en voyant son amie chercher une solution désespérément. «Ou plutôt, la prochaine fois que nous verrons notre homme, nous lui poserons des questions, veux-tu?»
Lauren lui donna une bourrade. Quelques minutes plus tard, elles sortaient de l’école.
Dans la rue, elles abordèrent divers sujets, n’évoquant plus le mystérieux Canadien bien que Lauren ne pouvait s’empêcher d’y penser. A peine étaient-elles de retour dans la maison familiale, que le téléphone sonna. Quand Marina revint, une vive contrariété marquait son visage. Un colloque imprévu devait avoir lieu le lendemain, à huit heures, au rectorat de Nice. Détestant conduire au petit jour, désireuse d’éviter un long trajet et les nombreux embouteillages le matin dans la préfecture des Alpes-Maritimes, la jeune femme décida de partir le jour même et de passer la nuit chez ses parents. Bien qu’il s’agissait d’une réunion professionnelle, Marina était vivement ennuyée de partir si tôt et de laisser son amie. Lauren la rassura de son mieux et lui promit de veiller sur Michel en son absence.
L’institutrice partie de la maison, Lauren se sentit brusquement seule. Quand Michel revint d’une longue promenade à travers la garrigue, elle lui expliqua la raison de l’absence de sa sœur. Cependant, l’adolescent n’en parut pas très préoccupé. Après un dîner froid, il décida de se reposer alors que vingt-et-une heures venaient à peine de sonner.
Lauren se retira à son tour dans sa chambre. Assise sur son lit, elle reprit sa lecture de l’après-midi. Mais cette distraction ne la passionna guère: ses pensées demeuraient tournées vers la journée passée. Son imagination lui faisait créer quelque situation complexe dont elle ne saisissait pas la clé. Physiquement lasse, elle préféra alors se coucher.
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